Macadam Garrigue, un titre qui porte la route inscrite dans ses gènes. Celle, mythique, qui permet les grands départs. Celle qui, refusant d’être moyen, se fait but. Et celle aussi qui relie les territoires, les mondes, qui permet de franchir la distance et de faire un trait d’union entre des existences que tout semble, d’emblée, séparer. Mais la route, le trait d’union implicite entre le macadam – Marseille – et la Garrigue – le Lubéron – est surtout un chiffre pour désigner les existences que Patricia Nandes a placées au cœur de son récit. Des existences qui auront à faire face à un défi extraordinaire, celui de se réinventer, de tout remettre en question sans se couper du passé.
Un passé dont elles tirent la légitimation de se transplanter et en même temps la force de le faire.
Si la route est donc une sorte de trait d’union entre des existences, la vie, elle, est une parenthèse, une parenthèse ouverte et close par la mort.
Tout commence effectivement par un enterrement, et tout se clôt par une réflexion à propos du départ, le dernier, celui qui permettra d’embrasser du regard le terrain où des vies se sont écoulées, paisiblement, jusqu’au dernier instant qu’on aura appris à vivre sans amertume :
L’image sera fugace, quelques secondes tout au plus, mais l’idée qu’il s’était fait du bonheur se figera dans un silence de garrigues. (Chap. 32)
Un auteur, une poignée de putes et Émile, le patron du rade du coin, voici l’équipe rassemblée par Patricia Nandes dans une rue de Marseille « qui grimpait des Réformés jusqu’à la Plaine » (Chap. 1). Plus ou moins confortablement installés dans leurs existences de marginaux, ils sauront profiter de l’occasion qui se présente à l’improviste quand la mort, en fauchant Émile, leur tient la main pour leur offrir la chance de faire face à un nouveau défi, celui de se réinventer sans trahir la vie qui les a façonnés.
Une plante arrachée au sol qui l’a fait grandir, peu importe les travers qu’il lui a imprimé, nécessite des soins particuliers afin de reprendre racine. Cela s’applique aussi à la petite troupe qui quitte le territoire familier de Marseille et son espace nourricier pour s’installer en pleine campagne. Une campagne pleine d’une étrange beauté que Patricia Nandes sait peindre avec application sans jamais tomber dans la niaiserie romantique qui prônerait le « retour à la nature ».
Le travail est dur et il faut apprendre un tas de choses dont le citadin a oublié jusqu’à l’existence.
Avec Macadam-garrigues …Le récit se passe de drames et de retournements et progresse en ligne droite vers une issue qui ne surprend pas vraiment. Mais le roman n’a pas besoin d’une intrigue tordue, ficelée en suivant les recettes à succès des dramaturges hollywoodiens, pour réussir. Le seul drame qui s’y déroule, c’est celui de l’existence humaine avec ses revers, ses retournements et ses surprises qui, s’ils passent largement inaperçus des voisins, n’en bouleversent pas moins celui ou celle qui les vit, tout surpris de constater que la vie, ce n’est pas toujours ce que, bêtement, on imaginait.
On pourrait, par instants, penser qu’il y a comme une douceur sirupeuse qui sournoisement se glisserait dans le récit, menaçant de noyer l’humain sous une couche gluante faite de niaiserie et de – trop – bons sentiments. Mais c’est compter sans la maîtrise de l’auteure qui évite les dérapages et qui ne déroge jamais à son plus noble devoir, celui de peindre des hommes et des femmes rongés par leur condition, toujours sur le point d’être absorbés par le néant qui les entoure et dont seuls les protègent l’amour et l’estime qu’ils portent à leurs semblables.
Macadam Garrigues, c’est le roman d’une aventure profondément humaine, celle de l’amitié et de l’amour, celle d’hommes et de femmes capables de se prendre en main et de se réinventer, capables surtout de tendre la main à leurs prochains pour faire un bout de route ensemble.