Viens, oui… Je T’aime Moi Non Plus

Viens, oui… je t’aime moi non plus

Il ne fermait pas vraiment les yeux, les paupières mi-closes, pour ne pas percevoir ou recevoir ce « Viens, oui… Je T’aime Moi Non Plus ».  En plein milieu d’un après-midi de ce mois de mai, allongé sur un transat de jardin violet à bandes blanches, de souvenirs en souvenir, il était vert de peur. Entre deux battements de cils et ceux de son cœur, sa tête dodelinait sur la têtière revêtue d’une taie en toile de coton écrue. Il fixait un cep de vigne sauvage, un sujet  à priori sans intérêt. Pourtant, en ce rare moment d’intimité, il eut  l’impression d’effacer son regard pour lui laisser le sien, rusé.

Une personne qui n’a jamais commis d’erreurs n’a jamais tenté d’innover.

  • Albert Einstein

Petit monstre  se dit-il,  ça commence à devenir embarrassant. Pour qui me prends-tu ?
A contrecœur, il se demanda si elle voulait le protéger sans ressentir le besoin de l’abriter sous son aile.
Au cours des rares occasions où Pauline s’invitait pour « partager le verre de l’amitié » comme elle aimait à le dire, entre deux verres emplis d’un côtes du Rhône, un vin gouleyant, encarafé sur la table d’appoint. Déguster des olives de Nyons, des fromages de chèvre et de brebis de la région et quelques berlingots de Carpentras, à croquer, en guise de dessert. Mais leur conversation n’était jamais allée aussi loin qu’un riff de guitare. Il se sentait expulsé, le mot est faible, comme qui dirait dans un accouchement, adossé contre un mur sans éprouver le besoin de revenir sur des points essentiels, au risque de manquer un point de broderie à son canevas à « elle ». L’improvisation étant au goût du jour, il lui semblait impératif de préserver leur petit nid d’amour à saint Jean de Sault, au pied du Mont Ventoux. Un petit coin de paradis en décembre, paumé en janvier, des champs à perte de vue et une lointaine odeur de lavande, coupée en août, baladée au gré du vent . Cette perception n’avait rien de sexuel si ce n’est la volupté de tous les sens et de son amour sensuel de la vie . Il s’agissait  d’une variation musicale à désamorcer tant que le sens n’en serait pas épuisé.
Il se retrouva, ce soir-là, seul, les yeux dans les yeux, face à face avec son miroir sans songer qu’il était lui-même un miroir. Les arbres ruisselaient encore d’un soleil prometteur. Leurs ombres protéiformes se réfléchissaient sur la psyché de cette vieille armoire avant de mourir sur les murs bleutés aux plinthes pastel. La maison était prête.

Toutes fenêtres ouvertes, le vent ébouriffait ses cheveux poivre et sel. Il avait une mine épouvantable. 

Attends un peu! Il y a longtemps que nous avons oublié de nous le dire … viens, oui… je t’aime moi non plus ! Le répéter à l’envie, à l’envers, ça le fait pas- viens-oui- je t’aime, ça le fait, mais allez savoir si ça le fait ou pas?
En ce début de soirée du mois de mai, l’air frais caresse, flatte les yeux, ravive tous les sens. Il entrevoit le champ du possible.

Il y a longtemps que nous avons oublié de nous le dire … viens, oui… Je T’aime moi Non Plus !

Pauline, le museau bas, grogna dans sa direction, de plus belle en affrontant le mâle, l’obligeant à reculer centimètre par centimètre sur son bain de soleil.

Il n’osait plus bouger attendant qu’elle décide de son sort, mais peu à peu, ce ballet durant peut-être plus d’une heure. Il perdit  la notion du temps et comprit qu’elle avait, mine de rien, gagné du terrain et que si elle recommençait son cirque entre renarde et louve, elle serait là pour le protéger, son louveteau ! Suite à des coups de museau taquins, mettre son nez dans sou cou, ils se mirent à jouer.. comme des amoureux…. puis ils sont partis tous les deux  les oreilles hautes et la truffe en l’air me laissant seule face à ma plume! La nuit tombait, je n’ai pas fermé l’œil, espérant les voir revenir ensemble au petit matin, couchés l’un contre l’autre en chien de fusil. Encore quelques coups de langue et de museau sur le visage et sur le cou. Des moments de frayeur aussi, leurs crocs si proches de mes doigts mordillant mes mains, mes poignets, pour me faire rouler par terre, par réflexe, sur le dos, les quatre fers en l’air ! Et puisque c’est comme ça, parole de louveteau, je ne vous dirais plus rien si ce n’est mon mal au dos à vouloir les suivre ces deux-là. Ils ont appris  à se mettre face au vent pour que l’on ne devine pas leur présence et je les perdis de vue.

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